Équanimité

Le Silence des Heures - Septième jour

Équanimité, voilà le mot qui traversa mon esprit quand, dans la cour de l’hôtellerie, j’échangeais tout à l’heure quelques propos avec un retraitant qui soulignait, qu’en plus de l’épidémie, la « météo » avait été cette année particulièrement maussade et que cela faisait vraiment beaucoup de choses à « digérer ».

-- Équanimité, du latin aequanimitas, égalité d’âme, faculté intérieure à rester d’humeur égale quelles que sont les circonstances.

Je me suis alors souvenu de mon expérience, en revenant résider près de Paris en septembre dernier, accueilli par trois semaines très pluvieuses qui m’ont semblé si froides après presque trois ans et demi de soleil à Marseille. Combien l’équanimité m’a paru lointaine à atteindre et combien je me suis senti fragile face aux simples événements climatiques ! Il m’a fallu « lâcher prise », tourner mon attention vers la vie intérieure et le travail, pour desserrer l’emprise déprimante de la grisaille, puis du confinement et de la solitude qui ont suivi en octobre.

J’avais alors beaucoup réfléchi à cette notion, qui apparaît dans la Grèce antique avec Démocrite, 400 ans avant l’ère chrétienne, sous le nom d’ataraxie, du grec ἀταραξία, absence de troubles, et exprime la tranquillité de l’âme. Elle devient ensuite, chez les stoïciens et les épicuriens, le principe du bonheur, eudaimonia, du grec εὐδαιμονία, béatitude. Atteindre cet état de profonde quiétude dépendait aussi de l’absence de douleur physique et d’exercices corporels adaptés, ce qui le réservait bien sûr à une classe d’individus privilégiés et en privait définitivement serviteurs et esclaves..

Le bouddhisme accorde un sens plus large à cette idée. Dans le bouddhisme theravada, réputé le plus proche de l’enseignement initial du Bouddha, le mot pāli upekkhā, traduit habituellement par équanimité, désigne cette qualité comme une des « quatre demeures divines » ou brahma vihara, demeure de Brahma, fondement des trois autres et base de la pratique de l’attention dans la méditation et la vie quotidienne. Ces quatre demeures sont en fait quatre sentiments aimants spiritualisés, qui se concrétisent dans les attitudes et comportements sociaux et qui mènent à l’Éveil ultime.

L’upekkhā ou équanimité, s’accompagnant traditionnellement du « souhait que les êtres demeurent dans la grande équanimité libre de partialité, d’attachement et d’aversion », est donc la fondation sur laquelle développer ensuite :

  • mettā, la bienveillance, le « souhait que les êtres trouvent le bonheur et les causes du bonheur »,
  • karunā, la compassion, le « souhait que les êtres soient libérés de la souffrance et des causes de la souffrance », et
  • muditā, la joie sympathisante, le « souhait que les êtres trouvent la joie exempte de souffrance ».

Être équanime pour le bouddhiste, c’est donc accepter, accueillir ou « être avec » tout ce qui peut arriver, de manière impartiale, sans préférence, et cela suppose aussi d’accueillir chacun de façon égale, sans préférence ni restriction.
Par ailleurs l’individu est considéré comme responsable de sa situation, qui est simplement la conséquence des actes de sa vie présente et de ses vies antérieures, -- le bouddhisme professant la réincarnation. Il est donc en mesure de changer par lui-même son destin et il ne s’agira jamais de se poser à son égard en juge ou en sauveur, mais simplement d’être à ses côtés avec bienveillance, en lui témoignant de la compassion pour ses peines et en partageant avec lui la joie de l'instant, ces mêmes bienveillance, compassion et joie que nous devons cultiver pour nous-mêmes.
Je trouve cette conception du rapport à soi-même, à l’existence et aux autres extrêmement claire et libératrice et c’est sans doute une des raisons du grand succès du bouddhisme en occident, particulièrement en France où il est, je crois, le troisième courant spirituel en nombre de pratiquants, derrière l’islam et le christianisme.

Plus fréquents sont les moments où nous sommes capables d’équanimité, d’accueillir sans affect, avec « lâcher prise » et acceptation ce qui advient, tant nos perceptions que les événements, plus nous pouvons affiner notre attention à nous-mêmes et aux autres, puisqu’elle n’est plus immédiatement perturbée par les émotions. Il ne s’agit pas de les refuser, mais de rechercher ce point intérieur de stabilité où se situer pour les voir, les ressentir sans se laisser emporter par elles. C’est en cela que le bouddhisme souligne que l’équanimité est la base nécessaire pour développer l’attention, dans la méditation comme dans la vie quotidienne.

Cette faculté d’observation va nous permettre peu à peu de découvrir des aspects totalement inconnus de notre fonctionnement, nos automatismes, nos blocages et nos rejets, mais aussi nos ressources insoupçonnées, et faciliter nos progrès dans le changement et la vie spirituelle. En discernant les illusions que nous entretenons à notre sujet et qui nous autorisent souvent à nous sentir supérieurs à l’autre et à le juger, nous allons devenir plus humbles et enrichir notre compréhension des autres, les acceptants tels qu’ils sont avec plus d’empathie.

Développer l’équanimité a également de grands avantages au niveau de notre santé, car en étant plus détachés et plus tranquilles, nous « consommons » moins d’énergie et sommes moins fatigables. Notre sommeil sera de meilleure qualité et donc plus réparateur et nous aurons besoin de moins de temps pour récupérer. Notre attention et notre qualité de présence grandissant, nous serons plus efficaces tandis que notre mémoire et notre capacité d’intuition s’amélioreront.

Dans notre société où le bruit et l’agitation sont partout, progresser vers l’équanimité est donc à la fois un chemin de plus grandes sagesse et faculté à s’accueillir et accueillir l’autre avec amour et une solution pour préserver notre vitalité et multiplier nos possibilités de réalisation personnelle.

© Jérôme Nathanaël - 16 août 2021

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Photo Birger Strahl


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