Désordre - sculptures de Bernar Venet
En mars 2024, lors d’une visite au Musée Louvre-Lens, Désordre, un ensemble de sculptures monumentales de Bernar Venet déployées dans le parc, s’est imposée à moi comme une expérience esthétique à la fois physique et conceptuelle. Ces arcs en acier Corten condensent, par la puissance de leur présence, six décennies de recherche formelle menées par cet artiste, figure majeure de l’art conceptuel.
De l’équation à l’arc
Bernar Venet (né en 1941) s’affirme dès les années 1960 à New York en introduisant les mathématiques et les sciences dans le champ de la sculpture et de la peinture, au cœur des enjeux de l’art conceptuel. Aux côtés de figures comme Sol LeWitt et Carl Andre, il explore une rigueur formelle où diagrammes, équations et notations deviennent matière artistique à part entière. À partir de 1979, la ligne quitte la planéité et se fait sculpture monumentale en arcs, angles et diagonales d’acier Corten.
Désordre au Louvre-Lens
Dans le parc du Louvre-Lens, Désordre rassemble des groupes d’arcs monumentaux en acier Corten d’environ 4,50 mètres, légèrement inclinés, comme arrêtés dans l’instant d’un basculement. Dispersés sur les pelouses de manière imprévisible, chaque groupe associe cinq à huit arcs aux inclinaisons précisément définies, indications que Venet consigne systématiquement sur ses pièces. La patine rouillée dialogue avec l’herbe et la lumière du Bassin minier, pour écrire une grammaire d’arcs et de vides où gravité, instabilité et paysage deviennent co‑auteurs de la forme.
Acier, rouille et élégance industrielle
Matériau signature de Venet, l’acier Corten développe une patine orangée protectrice qui conjugue endurance climatique et présence chromatique chaleureuse. Cette peau de rouille, associée à la géométrie des arcs et au poids considérable des éléments, renforce le contraste entre massivité industrielle et finesse graphique de la ligne dans l’espace. Certains arcs existent par séries d’angles calculés, comme 218,5°, 221,5° ou 265,5°, évoquant des trajectoires suspendues et des gestes calligraphiques à l’échelle du paysage. La logistique des œuvres — ancrages profonds et ingénierie de fondation — se fait oublier au profit d’une sensation d’apesanteur maîtrisée.
Résonances pour le créateur contemporain
L’œuvre de Venet invite à explorer la tension fertile entre contrainte et libération : faire jouer un système rigoureux — qu’il soit mathématique, musical ou poétique — jusqu’à sa déconstruction assumée. Elle propose ici un modèle matière/concept où des sculptures monumentales en acier Corten portent, dans leur poids et leur patine, la mémoire vive d’équations et d’idées. Enfin, la logique de série et variation — arcs, angles, lignes, que l'artiste décline depuis 1979 — illustre la richesse inépuisable d’un vocabulaire volontairement limité.
Les photographies présentées ici, que j'ai réalisées lors de ma visite, fixent l’instant d’un dialogue entre acier, gravité et paysage, à la rencontre d’un créateur qui, à 83 ans, continue de réinventer ses propres hypothèses de forme et d’espace.
© Jérôme Nathanaël - 03/2024