L'adolescent

Il marchait, il marchait sans relâche.
Savait-il seulement où il allait ? Confusément en lui se dévoilait un chemin, et quelque chose le pressait d’avancer, sans délai.

Il avait tout laissé. Il n’avait même pas dit qu’il partait. Tous les liens, d’un seul coup, lui étaient devenus vains. “Liberté !” Liberté, cet unique mot cognait sa tête, ce mot à vivre, qui valait tous les risques, tous les inconnus, pourvu qu’ils soient quittes de cet absurde qui l’entravait, et qui sans doute liait tous les autres, comme une malédiction à vaincre.

Plus tôt, dans l'après-midi, il avait attrapé le premier train, résolu à rejoindre un port plus au nord, et à s’embarquer, sur quel navire ? Peu importe, pourvu qu'il traversa la grande mer, vers une destination qu'il finirait bien par choisir, quand ce train, qui grinçait de tout son métal froid, s’arrêterait à quai.

Maintenant il marchait. À la sortie de la gare il n’y avait rien. “La nuit, une petite ville du nord, ça doit être comme çà !” se disait-il, lui qui n’était jamais allé plus loin que les deux ou trois villes où sa famille l’emportait pour les vacances.

Il n’avait aucun bagage, juste sa vieille parka, jetée sur le dos à la va-vite en partant, mais dont il avait pris soin de remplir les poches avec ses poèmes et ceux d’Arthur, le seul ami, le seul avec qui il pouvait tenir conciliabule, des palabres incessantes et survoltées à travers les plis du temps, ce temps qui alors, enfin, n’existait plus.

Il était parti, en prenant presque ses jambes à son cou, comme on dit, tant il lui fallait s’arracher à l’emprise du tyran qui siégeait dans toute sa brutalité, là où la vie lui avait fait échouer domicile en naissant.

C’est qu’il se savait venir des étoiles, d’un monde tellement plus grand, plus juste et plus aimant, un monde à sa mesure, et il pressentait déjà qu’on ne pourrait demain l’évaluer à l’aune de cette société trop étroite pour y tenir.

À treize ans, encore presque un enfant, fragile mais entêté, il se devinait prince d'une autre dimension, dont il était bien résolu à retrouver une trace ici-bas. Et déjà, parfois, il lui arrivait de croiser un regard où brûlait cette flamme, qui le consumait aussi, cette exigence sans appel, l’urgence de vivre, l’urgence d’être. 

© Jérôme Nathanaël - janvier 2018

Description de l’image

Photo Gabriel


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